Jurisprudence
Marques

Opposition à l’enregistrement de la marque semi-figurative LEGA SPHERE AVOCATS - Preuve de l'exploitation effective de la dénomination sociale antérieure IP SPHERE

PIBD 1216-III-2
CA Nancy, 6 novembre 2023

Opposition à l’enregistrement de la marque semi-figurative - Droit antérieur - Dénomination sociale - Exploitation effective - Identité des services - Similitude visuelle, phonétique et intellectuelle - Substitution du mot d’attaque - Élément dominant - Disposition - Adjonction d’un mot final descriptif - Structure identique - Public pertinent - Risque de confusion (oui) - Déclinaison - Appréciation globale

Texte
Dénomination sociale n° 504 101 080
Demande d’enregistrement n° 4 816 331 de l’AARPI Légasphère Avocats
Texte

Doit être rejeté le recours contre la décision de l’INPI ayant accueilli l’opposition à l’enregistrement de la marque semi-figurative LEGA SPHERE AVOCATS, formée sur la base de la dénomination sociale IP SPHERE.

La dénomination sociale ne bénéficie d'une protection qu'à la condition que les activités invoquées soient effectivement exercées par la société au jour du dépôt de la marque contestée. En l’espèce, l’extrait Kbis de la société opposante mentionne la dénomination sociale « IP SPHERE » et les activités notamment de conseil en propriété industrielle. Par ailleurs, les pièces produites à l'appui de l'opposition mentionnent toutes cette dénomination, en particulier dans les documents de présentation de l'activité de la société, tels qu'ils figurent sur son site internet, entre la date du dépôt de la marque et la date de l’opposition. Les articles publiés dans diverses revues spécialisées par le gérant de la société opposante ou par d'autres conseils en propriété industrielle du cabinet sont plus anciens, mais ils montrent que le nom des auteurs a toujours été associé à la dénomination sociale au fil du temps. La requérante soutient notamment que les usages relevant des pièces produites par l'opposant se rapportent à la marque semi-figurative IP SPHERE, le plus souvent associée à l'indication « Conseils en propriété industrielle ». Toutefois, la circonstance que cette marque et/ou cette indication soient également présents dans ces documents est sans emport sur la réalité de l'usage du signe invoqué.Il est également établi que la société opposante est présente sur la plupart des réseaux sociaux.

Les « Services juridiques rendus par les avocats » visés par la demande d’enregistrement sont identiques aux « Activités juridiques et notamment pour une activité d'assistance et de représentation des entreprises et des particuliers dans l'obtention, le maintien et la défense des droits de propriété intellectuelle » exercées sous la dénomination sociale antérieure. En effet, si l'activité de la société opposante est cantonnée à la matière spécifique des droits de propriété intellectuelle, il s'agit par essence d'activités relevant du domaine juridique en général, incluant le conseil, l'assistance et la représentation des entreprises et des particuliers.

Visuellement, les trois mots du signe LEGA SPHERE AVOCATS sont inscrits en lettres capitales, les uns au-dessus des autres, dans des caractères décroissants. Ainsi, l'ensemble forme un rectangle dans lequel le terme « Lega » est dominant, alors que les sept lettres du mot « Avocats » sont calligraphiées dans une police beaucoup plus petite pour occuper la même longueur que celle des quatre lettres du mot « Lega » et donc peu lisible. La lettre « A » de « Lega » et le terme « Avocats » sont de couleur bleue. La lettre « A » est par ailleurs stylisée par une barre transversale oblique.

D’un point de vue conceptuel, le terme « Sphère », commun aux deux signes en conflit, renvoie au monde du droit lorsqu’il est associé au terme « Lega ». Le mot « Avocats », purement descriptif des services visés, ne présente pas de caractère distinctif et doit être écarté de la comparaison. Le terme « Sphère » évoquera le domaine de l’internet ou celui de la propriété intellectuelle selon si le terme « IP », auquel il est associé, est compris comme signifiant « Internet Protocol » ou, « Industrial Property » ou « Intellectual Property ». Cependant, si l'idée d'une « sphère de l'internet » est porteuse de sens, celle de « sphère du protocole internet » en est pratiquement dépourvue, du moins pour désigner une activité économique, s'agissant d'un ensemble de règles afférentes au transport des données. Les initiales « IP » seront donc comprises comme « Industrial Property » ou « Intellectual Property » par le public concerné, à savoir les entreprises ou les particuliers recherchant des services juridiques dans ce domaine du droit.

Les signes, composés chacun d'un premier terme à connotation juridique, présentent une structure semblable, de sorte qu'il y a lieu de les considérer comme similaires.

Les services étant identiques et les signes similaires, il existe un risque de confusion dans l'esprit du public concerné.

Cour d'appel de Nancy, 1re ch. civ., 6 novembre 2023, 23/00096 (M20230221)[1]
Legasphère Avocats AARPI c. IP Sphère SELARL et INPI
(Rejet recours c. décision INPI, 20 déc. 2022, OP 22-0243 ; O20220243)

[1] Depuis l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 qui a transposé la directive (UE) n° 2015/2436, il est désormais possible de former opposition à l’enregistrement d’une marque sur la base de nouveaux droits antérieurs. Dans l’affaire en cause, l’opposante a formé son opposition sur la base de la dénomination sociale antérieure IP Sphère. Elle a également formé une seconde opposition à l’encontre de la même marque LEGA SPHERE AVOCATS, sur la base de la marque semi-figurative antérieure IP SPHERE et du nom de domaine ipsphere.fr (CA Nancy, 1re ch. civ., 6 nov. 2023, 22/02837 ; M20230220). Dans cette deuxième décision, la cour d’appel de Nancy a également rejeté le recours contre la décision du directeur général de l’INPI ayant accueilli l’opposition. Les juges ont dit que l'opposition à l'enregistrement de la marque était jugée bien fondée en raison du risque de confusion avec la marque antérieure IP SPHERE et que « c'est à juste raison que la décision contestée a dit n'y avoir lieu d'examiner si le nom de domaine ipsphere.fr constituait également un droit antérieur opposable ». Elle a ajouté que « quelle que soit l'issue de ce débat, il est manifeste que l'issue du recours aurait été identique ». D’autres juridictions se sont également prononcées sur des recours contre des décisions relatives à des oppositions formées sur la base de nouveaux droits antérieurs (CA Rennes, 3e ch. com., 5 sept. 2023, Julien A c. Maurice SAS et INPI, 22/04739 – dénomination sociale antérieure  ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 7 avr. 2023, Et Nous SARL c. INPI et Services Marketing Diversifiés SAS, 22/02032, M20230065 – nom commercial antérieur ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 25 nov. 2022, Superpitch EURL c. INPI et NSW Prim EURL, 21/17338, M20220315 dénomination sociale et nom commercial antérieurs ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 24 juin 2022, Société E-Borealis c. INPI et Dyp Solutions, 21/15999, M20220209, PIBD 2022, 1193, III-5 nom commercial et nom de domaine antérieurs ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 25 mai 2022, Mainetti Ltd c. INPI et Polyloop SARL, 21/16110, M20220171 nom commercial antérieur).