Validité de la marque (non) - 1°) Caractère trompeur sur la provenance géographique (non) - 2°) Dépôt de mauvaise foi (oui) - Droit de l'UE - Usage commercial antérieur - Connaissance de cause - Relations d'affaires - Entrave à l'exploitation du signe d'autrui - Existence d'intérêts sciemment méconnus
La marque verbale contestée KRISMAR FRANCE, désignant des véhicules, appareils de locomotion par terre, par air ou par eau et parties constitutives de véhicules « d’origine française ou fabriqués en France », est déclarée nulle pour l’ensemble des produits désignés dans son enregistrement. Le motif de nullité fondé sur son caractère trompeur est rejeté, mais la mauvaise foi du titulaire est en l’espèce caractérisée.
En application de l’article L 711-2 8° du CPI, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169, est de nature à tromper le public, un signe qui, en lui-même, est susceptible d’induire en erreur le consommateur sur une caractéristique des produits et services auxquels il s’applique, indépendamment du contexte et de l’usage qui en est fait. Le caractère trompeur d’une marque doit s’apprécier au jour de son dépôt.
En l’espèce, le demandeur n’a pas rassemblé les arguments permettant d’établir que le signe contesté était intrinsèquement de nature à induire le public en erreur au jour du dépôt. D’une part, les documents fournis par le demandeur ne mentionnent pas le lieu de fabrication des véhicules concernés et ne portent pas sur la marque contestée, soit KRISMAR FRANCE, mais sur les signes « KRISMAR », « KR » et « KRISMAR HORSE TRUCKS ». D’autre part, la plupart de ces éléments sont postérieurs à la date de dépôt de la marque contestée.
La notion de mauvaise foi s’apprécie également au jour du dépôt, au regard de l’intention du déposant par référence aux circonstances objectives du cas d’espèce. Selon la CJUE [1], la mauvaise foi est susceptible d’être retenue lorsque « le titulaire d’une marque a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence, mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers ».
En l’espèce, la marque contestée KRISMAR FRANCE présente des similitudes avec le signe « KRISMAR HORSE TRUCKS » utilisé par le demandeur pour l’activité d’importation et de distribution exclusive d’une gamme de véhicules, principalement des camions pour chevaux. En effet, les deux signes ont le même élément distinctif et dominant « KRISMAR ».
Un contrat de représentation commerciale en France a été signé entre le demandeur en nullité et une société dont le titulaire originel de la marque contestée est l’un des trois associés antérieurement au dépôt de la marque contestée. Ce contrat précise que le demandeur est le distributeur d’une gamme de véhicules commercialisés sous la dénomination « KRISMAR HORSE TRUCKS ». Ainsi, quand bien même le demandeur n’avait pas déposé de marque associée à ce signe, le titulaire originel de la marque contestée avait, au jour du dépôt, nécessairement connaissance de l’usage antérieur du signe du demandeur très proche du signe contesté puisqu’il avait assisté aux échanges préalables à la conclusion du contrat susvisé et que cet usage s’exerçait depuis par le biais de sa propre société pour le compte du demandeur en tant que concessionnaire exclusif en France.
Enfin, aucune clause du contrat de distribution ne prévoyait l’autorisation pour la société concessionnaire de déposer à titre de marque le signe « KRISMAR HORSE TRUCKS » sous lequel elle commercialisait les produits pour le compte du demandeur, ni tout autre signe comportant l’élément principal et dominant KRISMAR. Par ailleurs, le titulaire ne démontre pas qu’il a informé le demandeur de son intention de déposer la marque contestée.
Le titulaire de la marque contestée a donc agi sciemment au mépris des intérêts du demandeur en le privant par anticipation du signe dont il pourrait faire usage dans le cadre de son activité établissant son intention de porter atteinte d’une manière non conforme aux usages honnêtes de la concurrence, aux intérêts du demandeur et à son devoir de loyauté envers ce dernier qui était son partenaire commercial, sans intention d’exploiter ce signe pour ses propres produits.
Décision INPI, 11 juillet 2023, NL 22-0150 (NL20220150) [2]
Steels Constructions c. Krismar SAS
[1] CJUE, 4e ch., 29 janv. 2020, Sky, C 371/18, §75 (M20200025 ; PIBD 2020, 1139, III-3, avec une note de Cécile Martin, rédactrice au PIBD ; Propr. industr., févr. 2020, p. 18, note d’ A. Folliard-Monguiral ; Propr. industr., avr. 2020, chron. 3, J. Canlorbe ; Propr. industr., mai 2020, étude 12, V. Ruzek, A. Folliard-Monguiral ; RTDCOM, 2, avr-juin 2020, p. 332, note de J. Passa ; L'Essentiel, avr. 2020, n° 113b8, note de S. Chatry ; Propr. industr., nov. 2020, chron. 10, C. Le Goffic).
[2] Cette décision fait l’objet d’un recours devant la cour d’appel de Paris.