Contrefaçon de la marque - Réglementation sur l’étiquetage des bouteilles de vin - Atteinte à la fonction d’indication d’origine
Une société spécialisée dans la grande distribution de produits alimentaires a distribué des prospectus sur lesquels apparaissaient, avec la mention « fournisseur [Y] [O] (…) », des bouteilles de vin provenant d’une société exerçant une activité de commerce de gros de produits vitivinicoles. Elle a, en outre, procédé à la vente de bouteilles de vin fournies par cette société et revêtues d’étiquettes comportant la mention « mis en bouteille par [W] [O] (…) ». Une société vigneronne, qui commercialisait sa production sous la marque ROLLY GASSMANN, a assigné ces deux sociétés en contrefaçon par imitation, les deux mentions litigieuses comportant le même nom patronymique correspondant au mot final de sa marque. Pour rejeter sa demande, la cour d’appel a relevé que la mention « mise en bouteille par [W] [O] », qui constitue une mention obligatoire de l’étiquetage des bouteilles de vin, avait pour objet de distinguer la personne qui a la qualité d’embouteilleur, et non le produit lui-même. C’est ainsi à bon droit qu’elle a retenu que cette mention n’était pas susceptible d’être comprise par le public comme tendant à désigner l’entreprise de provenance du vin, ni de nature à porter atteinte à la fonction d’origine de la marque. En revanche, s’agissant de la mention « fournisseur [Y] [O] (…) » apposée sur les prospectus, la cour d’appel a constaté que chacun des produits était présenté sous la marque de la société distributrice, avec l'indication parfaitement distincte, dans un encadré rouge, de son véritable fournisseur « [Z] [J] (...) », et que seul l’un des crus proposés était accompagné de la mention erronée litigieuse. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à écarter la perception, par le public concerné, de cette mention comme une garantie d'origine des produits concernés, et donc comme un usage à titre de marque, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
Cass. com., 15 mai 2024, Domaine [H] [O] SAS et al. c. Norma SARL et al., 22-20.464 (M20240119)
(Cassation partielle CA Colmar, 1re ch. civ., sect. A, 8 juin 2022, 20/01198, M20220183)
Caducité du recours contre une décision de l’INPI - Délai d’envoi des conclusions par le requérant
Le recours formé le 6 juin 2023 par la société titulaire de la marque DROIT AU COEUR à l’encontre de la décision du directeur de l’INPI du 30 mai 2023 ayant prononcé la déchéance de sa marque est caduc. Aux termes de l'article R. 411-29 du CPI, applicable depuis le 1er avril 20201, le demandeur dispose d'un délai de trois mois à compter de l’acte de recours pour adresser ses conclusions par LRAR à l’INPI et en justifier auprès du greffe, à peine de caducité de l'acte de recours, relevée d'office. En l’espèce, la société requérante a transmis ses conclusions à l’INPI le 6 novembre 2023, soit au-delà du délai de trois mois imparti. Cet envoi n'est pas de nature à régulariser la procédure. En effet, la société ne justifie d'aucune circonstance de force majeure autorisant que la caducité soit écartée, comme le permet l'article R. 411-36 du CPI. En outre, s’il a été jugé2 que l'omission de certaines mentions devant figurer à peine de nullité à l'acte de recours contre les décisions de l'INPI pouvait faire l'objet d'une régularisation dans les conditions de l'article 126 du Code de procédure civile, la caducité ne sanctionne pas une irrégularité de l'acte de recours mais l'inaccomplissement par l'une des parties d'une formalité impartie dans un délai de rigueur. Elle n'est dès lors pas susceptible de régularisation. Enfin, cette sanction ne peut être considérée comme disproportionnée au sens de l'article 6-1 de la CESDH sur le droit à un procès équitable.
CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 25 avr. 2024, Virage Sud SARL c. INPI et al., 23/07509 (M20240098)
(Caducité recours c. décision INPI, 30 mai 2023, DC 22-0174 ; DC20220174)
1 Cass. com., 12 mai 2021, Société anonyme coopérative Giphar (Sogiphar) c. Biogaran SAS et al., 18-15.153, M20210115, PIBD 2021, 1165, III-4, avec une note de C. Martin ; D IP/IT, juin 2021, p. 305 ; LEPI, juill. 2021, p. 5, P. Langlais.
2 Sur la caducité du recours à défaut de transmission des conclusions dans le respect des modalités et du délai requis par l’article R. 411-29 du CPI, voir également d'autres décisions récentes : CA Paris, pôle 5, 1re ch., 24 avr. 2024, Evavocat SELARL c. INPI et al., 23/06472, M20240102 ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 24 avr. 2024, Evavocat SELARL c. INPI et al., 23/06478, M20240103 ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 26 nov. 2021, Orange Brand Services Ltd c. INPI et al., 20/07602, M20210285 ; CA Bordeaux, 1re ch. civ., 23 mars 2021, Christophe L. c. INPI et al., 20/01921, M20210082, PIBD 2021, 1158-III-7, Propr. industr., mai 2021, comm. 33, P. Tréfigny.
Déchéance partielle de la marque figurative (oui) - Exploitation sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif
La demande, formée par une société chinoise, en déchéance de la marque figurative représentant, en noir et blanc, un crocodile de profil dont la tête est tournée vers la gauche, avec une patte avant et une patte arrière visibles, la gueule ouverte et la queue relevée, est partiellement fondée. La preuve est rapportée d'un usage sérieux du signe pour une partie des produits et services visés au dépôt. La représentation du crocodile, si elle emprunte à la nature, n’en demeure pas moins particulièrement distinctive eu égard aux produits de beauté, d'habillement, d'horlogerie, d'optique, de lunetterie, de maroquinerie, au linge de maison ou aux articles de sport ainsi qu'aux services de mécénat en cause. Ce caractère distinctif est par ailleurs renforcé par la connaissance du signe par un large public en raison notamment des investissements significatifs qui ont été réalisés pour sa promotion. La marque a fait l’objet d’une exploitation sous des formes modifiées. Toutefois, le fait que le signe soit exploité avec la tête du crocodile tournée vers la droite n'en altère pas le caractère distinctif, celui-ci étant aisément identifiable et mis en valeur. Il garantit donc au consommateur l'identité d'origine des produits et services. Il en va de même de sa représentation dans d'autres couleurs qui ne fait pas disparaître les caractéristiques essentielles du crocodile. Enfin, le fait que le signe figuratif soit parfois utilisé en association avec la dénomination « LACOSTE » ne fait pas perdre à l'élément figuratif sa fonction d'identification d'origine commerciale des produits et services.
CA Paris, pôle 5, 2e ch., 1re sect., 26 avr. 2024, [T] E-Commerce Co. Ltd c. INPI et al., 23/04609 (M20240094)
(Confirmation décision INPI, 2 déc. 2022, DC 21-0166, DC20210166, PIBD 2023, 1197, III-8 ; décision rectifiée par décision INPI, 6 janv. 2023, DC 21-0166 )
Contrefaçon de la marque (oui) - Usage dans la vie des affaires - Fourniture de moyens
Il est fait droit à la demande en contrefaçon de la marque verbale TRIOMPHE, déposée pour désigner des vins et spiritueux. La société de distillerie poursuivie a procédé au remplissage puis à la livraison de bouteilles de brandy destinées à être commercialisées en Chine sous les marques CNTRIOMPHES. Elle soutient qu’elle n’a pas fait un usage des marques dans la vie des affaires, la société chinoise qui a passé la commande lui ayant fourni les flacons, manchons, étiquettes et coffrets déjà revêtus des marques. Dans son arrêt « Red Bull »1, la CJUE a précisé qu’un prestataire de service qui, sur commande et sur les instructions d’un tiers, remplit des conditionnements qui lui ont été fournis par ce tiers, lequel y a fait apposer préalablement un signe identique ou similaire à un signe protégé en tant que marque, ne fait pas lui-même un usage de ce signe susceptible d’être interdit. En l’espèce, s’il n’est pas discuté que la société poursuivie n’a pas commercialisé les brandies CNTRIOMPHES, ni participé à l’élaboration des flacons, manchons, étiquettes, contre étiquettes et coffrets préimprimés de ces produits, elle ne peut dénier que le remplissage de bouteilles ostensiblement identifiées sous la marque litigieuse, l’apposition des manchons et contre étiquettes sous cette marque avec mention de sa propre dénomination, et sa participation à la publicité du brandy CNTRIOMPHES lui ont nécessairement procuré un avantage économique indirect. En outre, ces actes constituent des actes préparatoires désormais sanctionnables au titre de la contrefaçon en application de l’article L 713-3-3 du CPI issu de l’ordonnance du 13 novembre 2019. Celui-ci permet de sanctionner la contrefaçon de marque par fourniture de moyens et donc de qualifier l’agissement de l’auteur du remplissage du conditionnement marqué d'un produit identique ou similaire à celui de la marque antérieure d’usage illicite de la marque.
TJ Bordeaux, 1re ch. civ., 23 avr. 2024, Thomas Hine & Co SAS c. Distillerie Vinet-Delpech SAS, 22/00139 (M20240111)
1 CJUE, 1re ch., 15 déc. 2011, Red Bull, C-119/10.
Validité de la marque (oui) - Contrariété à l’ordre public
Est rejetée la demande en nullité de la marque Laquéquetterie qui désigne notamment des produits alimentaires de consommation courante, la preuve de la contrariété à l’ordre public n’étant pas rapportée. Le signe contesté est notamment composé du néologisme « quéquetterie » constitué à partir du terme « quéquette » défini comme désignant « verge, pénis (langage enfantin) ». S’il n’est pas contesté que la marque est effectivement dotée d’une connotation sexuelle ou fait, à tout le moins, référence de manière enfantine à l’organe de reproduction masculin, celle-ci ne peut toutefois être considérée comme revêtant un caractère pornographique. À défaut de démonstration par le demandeur, la marque ne sera pas perçue comme pornographique ou choquante, quand bien même elle s’adresserait à un jeune public compte tenu de la nature des produits en cause. En outre, celui-ci ne peut invoquer le fait que la marque soit fondée sur un concept commercial obscène et des graphismes à caractère pornographique et qu’elle soit régulièrement utilisée en combinaison avec une marque figurative plus explicite. En effet, il s’agit de circonstances de fait extérieures au dépôt de la marque contestée et donc impropres à démontrer que celle-ci serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.
Décision INPI, 5 mars 2024, NL 23-0129 (NL20230129)