Contrefaçon de la marque tridimensionnelle (oui) - Marque constituée de la forme du produit - Similitude visuelle et conceptuelle - Risque de confusion - Produits identiques - Caractère distinctif élevé de la marque - Famille de marques
Action pour atteinte à la marque de renommée - Recevabilité du licencié et sous-licencié (non) - Défaut de qualité pour agir
Atteinte à la marque tridimensionnelle de renommée (oui) - Droit de l’UE - 1°) Renommée - Critères - Usage sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif - Fonction d’indication d’origine - 2°) Lien entre les signes - Similitude visuelle - Produits identiques - Caractère distinctif élevé de la marque - Famille de marques - Préjudice - Exploitation injustifiée
Une société française qui fait partie d’un groupe agroalimentaire, leader sur le marché mondial des biscuits, est titulaire de deux marques françaises tridimensionnelles, désignant les « biscuits enrobés ou nappés notamment, de chocolat ou de caramel » ou les « biscuits (sucrés ou salés) (…) nature et/ou nappés et/ou fourrés et/ou aromatisés », et représentant la forme d’un biscuit long et fin, enrobé de chocolat, recouvert, pour l’une des marques, d’une spirale chocolatée. Les biscuits protégés par ces marques sont commercialisés sous la dénomination « Mikado », à laquelle est ajoutée la dénomination « King Choco » pour le biscuit recouvert d’une spirale. Accompagnée de ses licenciée et sous-licenciée, cette société a assigné une société allemande et sa distributrice française, qui importaient et commercialisaient en France des biscuits au chocolat sous la dénomination « ChocOlé », en contrefaçon de la marque portant sur le biscuit dit « classique » (sans spirale), pour atteinte à la renommée des deux marques et en nullité des marques de la société allemande, ainsi que pour parasitisme. L’arrêt d’appel, qui a rejeté l’ensemble de ces demandes, a été partiellement cassé.
En premier lieu, s’agissant de la renommée des marques [1], la Cour de cassation a reproché à la cour d’appel de ne pas avoir pris en compte, dans son appréciation l’ayant menée à écarter la renommée, l’usage des marques sur l’emballage des produits dans une représentation différant de celle sous laquelle elles avaient été enregistrées. La Cour a estimé aussi que la cour d’appel n’avait pas non plus tenu compte d’autres éléments invoqués par les sociétés demanderesses, ni pris tous les éléments pertinents dans leur globalité. Or, pour apprécier si une marque est renommée, le juge est tenu de prendre en considération tous les éléments pertinents de la cause, à savoir, notamment, la part de marché détenue par la marque, l'intensité, l'étendue géographique et la durée de son usage, ainsi que l'importance des investissements réalisés par l'entreprise pour la promouvoir. Doit être notamment pris en compte l'usage de la marque sous une forme qui diffère par des éléments n'altérant pas son caractère distinctif dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée, la représentation bidimensionnelle d'une marque tridimensionnelle pouvant notamment faciliter la connaissance de la marque par le public pertinent lorsqu'elle permet de percevoir les éléments essentiels de la forme tridimensionnelle du produit.
En l’espèce, les éléments pertinents présentés par les sociétés demanderesses pour prouver la renommée de la marque représentant le biscuit « Mikado » classique (volume des ventes atteignant près de 2 423 tonnes en 2016, budgets publicitaires de plus de 42 millions d’euros pour la période de 2008 à 2015, campagnes promotionnelles, part de la marque en valeur représentant 1,5 % du marché des biscuits sucrés en 2015), ainsi que les enquêtes réalisées auprès des consommateurs avant et après le dépôt de la marque, permettent, pris dans leur globalité, de conclure que celle-ci est connue d'une partie significative du public concerné par les produits désignés et qu'elle est dès lors renommée. À cet égard, en admettant que les dépenses publicitaires aient été consacrées à la promotion du produit lui-même, cette promotion contribue nécessairement, au moins en partie, à celle de la marque.
Il doit être également tenu compte de la série d’emballages qui est versée aux débats pour démontrer l’ancienneté et l’intensité de l’usage de cette marque. Si les différentes représentations du biscuit qui y figurent peuvent être considérées comme de simples illustrations des produits contenus dans ces conditionnements, elles constituent aussi un usage à titre de marque. Elles seront en effet perçues comme une identification de l’origine commerciale du produit, indépendamment des marques verbales ou semi-figuratives MIKADO, LU ou GLOCO apparaissant également sur les emballages. De plus, malgré les différences existant entre certaines de ces représentations (plusieurs biscuits montrés en vrac ou en faisceau) et la marque tridimensionnelle qui porte sur un biscuit unique dans toute sa longueur, il s’agit d’un usage de la marque sous une forme modifiée n’altérant pas le caractère distinctif.
La marque représentant le biscuit « Mikado » recouvert d’une spirale chocolatée est, elle aussi, une marque de renommée, comme le démontrent les pièces produites par les demanderesses.
En deuxième lieu, la demande en contrefaçon de la marque portant sur le biscuit « Mikado » classique, formée à titre principal, est bien fondée. Le risque de confusion est réel compte tenu de l’identité des produits, des ressemblances prépondérantes entre la marque et le biscuit torsadé « ChocOlé », de leur similitude conceptuelle (évocation du jeu du mikado) et du caractère distinctif élevé de la marque dont la renommée a été reconnue. La Cour de cassation a dit dans son arrêt précité que, lorsque la marque et le signe en conflit présentent une certaine similitude, l’appartenance à une famille de marques est un élément à prendre en compte pour l’appréciation du risque de confusion. En l’espèce, celui-ci procède aussi de l’appartenance de la marque à une famille regroupant les deux marques « Mikado » invoquées et une troisième marque tridimensionnelle « Mikado » représentant un bâtonnet long et fin mais à l’aspect granuleux. Le consommateur de biscuits enrobés de chocolat, qui sont des produits de consommation courante, moyennement attentif lors de l’achat, peut en effet estimer à tort que le signe incriminé fait partie de cette famille de marques, et ainsi se méprendre sur l’origine des produits. Le risque de confusion est d’autant plus important que ce type de biscuit fin et long, partiellement recouvert de chocolat n’abonde pas sur le marché des biscuits sucrés. Par ailleurs, comme le montre un sondage, la présence de la dénomination « ChocOlé » sur l’emballage du produit litigieux ne permet pas d’écarter le risque de confusion, ce packaging présentant une certaine proximité graphique avec celui des biscuits « Mikado ». La contrefaçon étant établie, l’atteinte à la renommée de la marque, qui n’a été invoquée qu’à titre subsidiaire, n’est pas examinée.
En troisième lieu, l’atteinte à la renommée de la marque représentant le biscuit « Mikado » recouvert d’une spirale chocolatée est caractérisée. Le biscuit « ChocOlé » présente, d’abord, avec cette marque une proximité suffisante pour que le public concerné effectue un rapprochement entre les deux signes en conflit et établisse ainsi un lien, au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. En effet, la forme de ces signes, peu usitée dans la catégorie des biscuits sucrés, est similaire bien que le biscuit incriminé soit torsadé, légèrement plus massif et dépourvu de spirale. D’après un sondage, ces différences paraissent peu déterminantes pour le consommateur moyen, 75 % des personnes interrogées auxquelles ont été présentés les biscuits « nus », sans emballage, estimant que les deux produits proviennent du même fabricant. Le lien entre les signes sera d’autant plus établi que l’emballage adopté reprend les codes graphiques du conditionnement des biscuits « Mikado King Choco », notamment les couleurs bleu, rouge et blanche ou la présentation des biscuits croisés par paire et disposés verticalement sur presque toute la hauteur du paquet. Le lien résulte également du caractère distinctif élevé de la marque et de son appartenance à une famille de marques.
La commercialisation des biscuits « ChocOlé » porte préjudice au caractère distinctif de cette marque. Elle a en effet contribué à diluer celui-ci en altérant l’aptitude de la marque à identifier l’origine commerciale des produits. Par ailleurs, la société défenderesse allemande, qui est une ancienne distributrice des produits des demanderesses en Allemagne et en Autriche, et qui ne justifie d’aucun investissement promotionnel pour le lancement, en France, de son produit « ChocOlé », sur un marché pourtant très concurrentiel, a indûment bénéficié de la renommée de la marque.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 11 septembre 2024, 23/09745 (M20240195)
Générale Biscuit-Glico France SA, Mondelez France SAS et Mondelez Europe GmbH c. Griesson de Beukelaer GmbH & Co. KG et Solinest SAS
(Infirmation partielle TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 20 oct. 2016, 15/05010, M20160557, PIBD 2017, 1066, III-143 ; arrêt rendu sur renvoi après cassation CA Paris, pôle 5, 2e ch., 9 mars 2018, 16/24260, M20180111, PIBD 2018, 1093, III-302, avec une note ; Cass. com., 27 mai 2021, 18-17.760, M20210129, PIBD 2021, 1165, III-3)
En parallèle de cette affaire, la société Générale Biscuit-Glico France, ainsi que la société suisse Mondelez Europe et la société Mondelez France, ses licenciée et sous-licenciée qui commercialisent ses produits et appartiennent au même groupe agroalimentaire, ont assigné une autre défenderesse, la société Biscuits Poult, devant le tribunal judiciaire de Nanterre pour atteinte à la renommée de l’une des deux marques tridimensionnelles françaises invoquées dans le présent litige. Cette marque n° 3 950 482 représente le biscuit « Mikado » classique, en forme de bâtonnet fin et lisse, nappé en partie de chocolat, habituellement commercialisé sous la marque semi-figurative « Mikado » et la marque ombrelle LU.
La société Biscuits Poult conçoit et fabrique des biscuits qui sont commercialisés par des enseignes de la grande distribution, comme Carrefour et Auchan, sous leurs propres marques. Elle est titulaire du modèle communautaire n° 002103671-0001 portant sur un biscuit ayant la même forme que les produits incriminés par les sociétés demanderesses qui sont vendus sous les dénominations « Twisty, « Delix », « Choco Twizz » et « Stick ».
La validité de ce modèle avait été contestée devant l’EUIPO par la société Griesson de Beukelauer, défenderesse dans le litige ici commenté, avant qu’elle ne soit elle-même poursuivie par les sociétés demanderesses. Ancienne distributrice des biscuits « Mikado » en Allemagne et en Autriche, la société Griesson de Beukelauer fabriquait des biscuits commercialisés en France sous la dénomination « ChocOlé ». Elle avait déposé, deux semaines seulement après le dépôt par la société Biscuits Poult de son modèle communautaire, des marques françaises semi-figuratives pour protéger les deux versions, en couleur bleue ou marron, du conditionnement sur lequel étaient représentés ses biscuits.
Dans la procédure devant l’EUIPO, pour contester la nouveauté et le caractère individuel du modèle communautaire, la société Griesson de Beukelauer opposait le biscuit qu’elle venait de concevoir et qu’elle s’apprêtait à commercialiser, ainsi que la figure 2 de son brevet n° EP 2 324 711 relatif à un procédé de fabrication d’un biscuit torsadé, alors déchu.
Toutefois, elle n’a pas rapporté la preuve de la divulgation de son biscuit auprès des milieux spécialisés du secteur concerné, composés des fabricants de biscuits et des entreprises distribuant, important ou commercialisant des biscuits. Elle n’avait en effet présenté son prototype qu’à des entreprises spécialisées dans la conception de machines-outils destinées à la fabrication de biscuits ou à des entreprises opérant dans le secteur de l’emballage. Le dessin de son brevet européen, quant à lui, représentant un biscuit en forme de vrille évidée, ne produisait pas la même impression d’ensemble que le modèle communautaire et ne pouvait donc détruire son caractère individuel. Ainsi, la demande en nullité du modèle de la société Biscuits Poult a été rejetée par la division d’annulation comme par la chambre de recours de l’EUIPO[2].
En ce qui concerne le litige opposant les sociétés Générale Biscuit-Glico France et Mondelez à la société Biscuits Poult, qui est intervenu plus tard, la cour d’appel de Versailles[3] a rendu un arrêt alors que la Cour de cassation avait déjà statué sur le litige les opposant à la société Griesson de Beukelauer. Dans son arrêt, elle a estimé que la marque tridimensionnelle représentant le biscuit « Mikado » était une marque de renommée, contrairement à ce qui avait été jugé en première instance, et que la société Biscuits Poult avait porté atteinte à cette marque. Dans la présente affaire opposant les mêmes sociétés demanderesses à la société Griesson de Beukelauer, la cour d’appel de Paris avait au contraire considéré, dans un premier arrêt, que la preuve de la renommée de cette marque n’était pas rapportée, avant d’être sanctionnée sur ce point par la Cour de cassation. Par l’arrêt ici commenté, la cour d’appel de renvoi retient finalement, comme la cour d’appel de Versailles, la renommée de la marque « Mikado ». Le principe énoncé par la Cour de cassation sur l’appréciation de la renommée, qui faisait lui-même écho à des d’arrêts rendus antérieurement par la Cour de justice de l’Union européenne[4], a été repris par les juges versaillais pratiquement mot pour mot.
Lorsqu’elles ont ainsi été, tour à tour, poursuivies par les sociétés demanderesses pour atteinte à la renommée de la marque tridimensionnelle protégeant le fameux biscuit « Mikado », les sociétés Griesson de Beukelauer et Biscuits Poult détenaient des titres de propriété industrielle valables, soit, pour l’une, deux marques françaises semi-figuratives représentant des conditionnements de biscuits et, pour l’autre, un modèle communautaire sur la forme d’un biscuit. La contestation de la validité de ce modèle par la société Griesson de Beukelauer a échoué peu de temps avant que la société Biscuits Poult soit poursuivie par les sociétés Générale Biscuit-Glico France, Mondelez Europe et Mondelez France. Nous ne savons pas si ces dernières ont introduit une procédure en nullité du modèle devant l’EUIPO. En revanche, dans le litige les opposant à la société Griesson de Beukelauer, elles ont formé une demande en nullité de ses marques semi-figuratives pour atteinte aux marques tridimensionnelles antérieures. Cette demande n’a pas prospéré que ce soit en première ou deuxième instance. Lorsque la cour d’appel de renvoi a statué, les deux marques contestées n’étaient plus en vigueur, faute de renouvellement.
Finalement condamnées dans les deux litiges sur le fondement de l’atteinte à la renommée de la marque « Mikado », les sociétés défenderesses se sont vues interdire de fabriquer, commercialiser et promouvoir les biscuits incriminés. La société Biscuits Poult ne pourra donc plus exploiter en France son modèle communautaire, qui expirera seulement en 2027, au risque d’être à nouveau poursuivie en contrefaçon de marque. Quant à la société Griesson de Beukelauer, ses deux marques sont tombées dans le domaine public et la commercialisation des biscuits incriminés « ChocOlé » a été arrêtée six ans plus tôt, pour des raisons purement commerciales a-t-elle déclaré, peu de temps après que le tribunal de grande instance de Paris a rendu sa décision, jugeant les sociétés demanderesses irrecevables dans leurs demandes fondées sur l’atteinte aux marques de renommée et mal fondées dans leurs demandes en contrefaçon.
Revendiquer l’atteinte à la marque de renommée s’est révélé, en fin de compte, fructueux pour la société Générale Biscuit-Glico France et ses licenciées. Ce fondement juridique est ainsi susceptible de leur permettre d’interdire à tout concurrent de fabriquer et de commercialiser des biscuits en forme de longs et fins bâtonnets enrobés pour partie de chocolat, quand bien même les consommateurs ne confondraient pas ces produits avec le bâtonnet protégé par la marque tridimensionnelle « Mikado », ni même ne risqueraient de se tromper sur leur origine commerciale. Il suffit en effet que ces biscuits évoquent, aux yeux des consommateurs, le signe protégé et les conduisent ainsi à établir un lien avec la marque au sens où l’entend la Cour de justice de l’Union européenne[5]. Comme cette dernière l’a énoncé de longue date, la protection accordée à la marque de renommée n'est pas subordonnée à la constatation d'un degré de similitude entre la marque et le signe incriminé susceptible de générer, dans l'esprit du public concerné, un risque de confusion[6].
Le fondement invoqué offre dès lors une protection très forte à la marque constituée de la forme du produit désigné dans l’enregistrement. Devant la cour d’appel de Versailles, la société Biscuits Poult soutenait, en défense, que les demandes des sociétés Générale Biscuit-Glico France, Mondelez Europe et Mondelez France fondées sur l’atteinte à la marque de renommée aboutissaient en réalité, en l’absence de risque de confusion, à protéger un genre de biscuit (un bâtonnet chocolaté) en violation du principe de la liberté du commerce et de l’industrie.
Les conséquences d’une telle protection octroyée à la forme d’un produit par le biais du droit des marques, qui conduit, une fois l’atteinte caractérisée, à interdire la commercialisation des produits eux-mêmes, et non pas l’usage des signes verbaux ou semi-figuratifs sous lesquels ils sont commercialisés, pourront être durement ressenties par les entreprises condamnées dans la mesure où c’est le processus de production industrielle qui est alors touché. Dans l’exposé des faits, la cour d’appel de Versailles a rapporté que le biscuit en forme de bâtonnet de la société Biscuits Poult avait été, selon cette dernière, conçu et élaboré en quatre années moyennant un investissement de plus de 8 000 000 €.
Mais encore faut-il, pour que la demande soit jugée fondée, établir l’existence du lien entre les signes en litige dans l’esprit du public concerné et, ensuite, caractériser l’atteinte, à savoir le préjudice porté au caractère distinctif de la marque ou le préjudice porté à sa renommée ou encore le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque. Si le degré de similitude entre les signes peut être moindre que celui exigé pour caractériser un risque de confusion, il doit cependant être suffisant pour que le public concerné effectue un rapprochement entre la marque et le signe incriminé. L'existence d’un lien dans l’esprit du public s’apprécie globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce. S’agissant du degré de similitude, la Cour de justice a précisé dans son arrêt Intel que plus les signes sont similaires, plus il est vraisemblable que le signe postérieur évoque la marque de renommée. D’autres facteurs peuvent jouer aussi, tels que le degré de proximité des produits ou services ou l’intensité de la renommée de la marque.
Dans l’affaire opposant les sociétés Générale Biscuit-Glico France, Mondelez Europe et Mondelez France à la société Biscuits Poult, afin de retenir l’existence d’un lien dans l’esprit du public pertinent, les juges d’appel ont relevé que la forme générale du biscuit représenté par la marque tridimensionnelle « Mikado » était très proche de celle du biscuit incriminé, malgré l'aspect torsadé et légèrement plus massif de celui-ci. Dans le litige impliquant la société Griesson de Beukelauer, la cour d’appel de renvoi a estimé, à propos de l’autre marque tridimensionnelle représentant le biscuit « Mikado » entouré d’une spirale chocolatée, que sa forme était similaire à celle du biscuit torsadé « ChocOlé » malgré l’absence de spirale.
On peut se demander s’il était utile de faire appel à l’atteinte à la marque de renommée alors que tous les facteurs pertinents pour l’appréciation globale du risque de confusion, dans le cadre d’une contrefaçon par imitation, semblaient réunis : l’identité des produits, un degré de similitude conséquent entre les signes et le caractère distinctif élevé de la marque invoquée. Les sociétés demanderesses avaient d’ailleurs formé une action en contrefaçon à l’encontre de la société Griesson de Beukelauer, à titre principal, pour la marque protégeant le biscuit classique « Mikado » dont la forme semblait la plus proche du biscuit incriminé. Seulement, les juges de première instance et, dans son premier arrêt, la cour d’appel de Paris ont exclu tout risque de confusion en relevant notamment la faible similitude visuelle et l’absence de similitude conceptuelle entre ces signes. Dans l’arrêt ici commenté, la cour d’appel de Paris, statuant après cassation sur la contrefaçon, retient au contraire l’existence d’un risque de confusion en raison des ressemblances visuelles prépondérantes existant entre la marque et le biscuit « ChocOlé », ainsi que du fait de leur similitude conceptuelle et du caractère distinctif élevé de la marque. Elle prend également en considération, comme le lui a demandé la Cour de cassation, l’appartenance à une famille de marques.
La cour d’appel de Paris ajoute que le risque de confusion est d’autant plus important que ce type de biscuit fin et long, partiellement recouvert de chocolat, n’abonde pas sur le marché des biscuits sucrés. Cependant, le fait que cette forme de biscuits soit peu courante ne devrait pas exercer d’influence sur l’appréciation du risque de confusion. En revanche, ce critère pourrait être pertinent pour l’appréciation du caractère distinctif intrinsèque de la marque. En ce qui concerne les marques tridimensionnelles portant sur la forme du produit visé dans l’enregistrement, la Cour de justice considère en effet que présente un tel caractère une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, remplit sa fonction essentielle d’origine. Dans cette affaire qui oppose les sociétés demanderesses à la société Griesson de Beukelauer, la validité des deux marques tridimensionnelles « Mikado » avait été contestée en première instance. Le tribunal de grande instance de Paris avait estimé que le signe protégé se démarquait des normes du secteur de la biscuiterie par sa forme oblongue et mince avec un embout dépourvu d'enrobage de chocolat (et avec une spirale chocolatée pour l’une des marques), le rendant susceptible d'attirer l'attention du public pertinent qui le percevra comme une indication d'origine commerciale des produits. Le jugement avait été confirmé en appel. Mais ce point n’a pas été remis en question devant la Cour de cassation. La cour d’appel de renvoi écarte donc le moyen pointant le défaut de caractère distinctif, qui a été soulevé à l’occasion de l’examen de la renommée. Cela ne l’empêche pas de noter que le tribunal a retenu à juste raison que le signe se démarquait des normes du secteur de la biscuiterie. Dans l’affaire opposant la société Griesson de Beukelauer à la société Biscuits Poult, la chambre de recours de l’EUIPO, quant à elle, avait considéré, pour apprécier le caractère individuel du modèle communautaire contesté, que la configuration en forme de bâtonnet était en soi banale pour un biscuit et que ce point commun avec le dessin du brevet opposé ne suffisait pas à générer, pour un utilisateur averti doté d’une vigilance particulière, la même impression globale[7].
Enfin, lors de l’appréciation du risque de confusion entre les signes en conflit, la cour d’appel de renvoi souligne encore que la présence de la dénomination « ChocOlé » sur l’emballage du produit de la société Griesson de Beukelauer ne permet pas d’écarter ce risque. Elle en veut notamment pour preuve un sondage révélant que 30 % des personnes interrogées, placées brièvement devant cet emballage, répondent qu’il s’agit d’un produit de marque « Mikado », en raison d’une certaine proximité graphique avec le conditionnement du biscuit « Mikado » classique. De même, lors de l’examen de l’atteinte à la marque de renommée portant sur le biscuit recouvert d’une spirale, elle considère que le lien est d’autant plus facilement établi que l’emballage incriminé reprend les codes graphiques de l’emballage des biscuits « Mikado King Choco ». Pourtant, il nous semble que la comparaison avec le biscuit « ChocOlé » ou sa représentation sur les emballages incriminés aurait dû se faire avec le biscuit « Mikado » tel qu’il est représenté dans l’enregistrement de la marque, sans faire référence à ses conditions d’exploitation et notamment au packaging dans lequel il est commercialisé.
En conclusion, ces deux affaires nous montrent que, dans le cas particulier des marques tridimensionnelles représentant la forme du produit désigné dans l’enregistrement, le titulaire, en invoquant à titre principal ou à titre subsidiaire le fondement de l’atteinte à la marque de renommée, met toutes les chances de son côté afin d’obtenir gain de cause. Ce fondement juridique offre en effet au titulaire du droit une protection plus étendue que la contrefaçon par imitation grâce à des critères d’appréciation plus souples. L’action fondée sur l’atteinte à la marque de renommée, même lorsque les produits sont identiques, apparaît dès lors être un choix stratégique pour les sociétés confrontées à un risque de rejet de leur demande en contrefaçon par imitation.
Cécile Martin
Rédactrice au PIBD
[1] La cour d’appel de Paris note que, dans un litige en nullité d’une marque de l’Union européenne, la chambre de recours de l’EUIPO, approuvée par le Tribunal de l’Union européenne, a reconnu à la marque antérieure française portant sur le biscuit classique « Mikado » une renommée particulièrement intense (TUE, 9e ch., 28 févr.2019, Lotte Corp., T‑459/18, point 138).
[2] EUIPO, 3e ch. recours, 20 juin 2016, Griesson-de Beukelaer GmbH & Co. KG c. Biscuits PoultSAS, R 2320/2014-3.
[3] CA Versailles, 12e ch., 2 nov. 2023, Générale Biscuit Glico-France SA et al. c. Biscuits Poult SAS, 21/01236 (M20230218 ; PIBD 2024, 1218, III-5).
[4] CJCE, 1re ch., 22 juin 2006, August Storck KG c. OHMI, C-24/05 (point 60) ; CJCE, 14 sept. 1999, General Motors Corporation, C-375/97 (point 27).
[5] CJCE, 1re ch., 27 nov. 2008, Intel Corporation Inc., C‑252/07.
[6] CJCE, 6e ch., 23 oct. 2003, Adidas-Salomon AG, C-408/01.
[7] EUIPO, 3e ch. recours, 20 juin 2016, R 2320/2014-3 (points 64 et 68).
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