Validité de la marque (non) - 1) Dépôt frauduleux (oui) - Mauvaise foi - Connaissance d’un usage antérieur - Marque antérieure de renommée - Intention du titulaire de la marque contestée - 2) Atteinte à la marque de renommée (oui) - Preuve de la renommée (oui) - Lien entre les signes dans l’esprit du public - Risque de profit indu - Juste motif (non)
Il est démontré que le dépôt de la marque semi-figurative GC GOOGLE CAR pour désigner des produits des classes 7, 12 et 14 a été effectué de mauvaise foi dans l’intention de porter atteinte aux intérêts de la société demanderesse ou d’obtenir un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque [1].
Le caractère frauduleux d’un dépôt s’apprécie au regard de la connaissance, par le titulaire de la marque contestée, de l’usage antérieur de signes identiques ou similaires ainsi qu’au regard de son intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité ou d’obtenir un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque [2].
En l’espèce, la société demanderesse démontre l’usage antérieur du signe GOOGLE qui jouit d'une forte et manifeste renommée auprès du public européen et le lancement, antérieurement au dépôt de la marque contestée, du projet de voiture autonome médiatisé sous le signe GOOGLE CAR. Il ressort d’une lettre qui a été adressée à son mandataire et rédigée par le titulaire de la marque contestée, que ce dernier ne conteste pas avoir eu connaissance avant le dépôt de marque litigieux, de l’existence de la marque de renommée GOOGLE et du projet de véhicule autonome « Google car ».
L’existence de multiples dépôts du titulaire de la marque contestée reproduisant la marque de renommée GOOGLE, en France, en Europe, aux Etats-Unis, au Japon ou encore en Chine, et d’autres dépôts de marques reprenant des noms patronymiques ou d’autres marques de renommées telles que ADIDAS, YEEZY, Universal world music ou encore Paris Sporting Group (PSG), témoigne d’une stratégie économique globale frauduleuse dans laquelle s’inscrit le dépôt de la marque contestée. L’intention frauduleuse du titulaire de la marque contestée réside également dans la lettre qu’il a envoyée dans laquelle il était prêt à revoir son projet de déploiement et d’utilisations de la marque litigieuse GC GOOGLE CAR moyennant « dédommagement pour ce renoncement » précisant être « dans l’attente » d’une « proposition chiffrée ».
Reconnaissant d'abord la mauvaise foi du déposant, l'INPI va ensuite considérer que la marque contestée porte atteinte à la renommée de la marque antérieure.
L’atteinte à la renommée suppose l’existence d’une renommée de la marque antérieure invoquée, l’identité ou la similitude des signes en conflit et la démonstration d’une atteinte à cette renommée.
En l’espèce, les différentes pièces (notamment des études et articles de presse, classements divers, décisions de l’EUIPO reconnaissant la renommée de la marque GOOGLE) fournies à l’appui de la demande permettent de considérer que la marque antérieure GOOGLE fait l’objet d’un usage intensif et de longue durée, qu’elle jouit d’une position consolidée parmi les marques dominantes dans le secteur technologique et qu’elle bénéficie d’un degré de connaissance très élevé auprès du public notamment européen et français.
Il résulte d’une comparaison globale et objective des signes en présence que les signes ont en commun la dénomination identique GOOGLE, constitutive de la marque antérieure, leur conférant d’importantes similitudes visuelles et phonétiques. S’ils différent par des ajouts au sein du signe contesté, la prise en compte des éléments distinctifs et dominants conduit à tempérer les dissemblances qui en résultent.
Le terme de fantaisie sans évocation particulière « GOOGLE » figure désormais parmi les marques les plus puissantes et médiatisées en Europe. L’exceptionnelle renommée de la marque antérieure auprès de tous types de public est de nature à ce que les consommateurs concernés soient susceptibles d’opérer un lien entre le signe contesté GC GOOGLE CAR et la marque antérieure GOOGLE. La médiatisation et l'utilisation du signe GOOGLE dans le domaine des véhicules notamment au travers du projet de véhicule autonome « Google Car » est de nature à ce que le public concerné par les produits désignés en classe 12 de la marque contestée apparaisse d'autant plus incité à opérer un lien entre les marques en cause. Les produits désignés en classe 7 présentent quant à eux un lien avec les produits et services pour lesquels la renommée de la marque antérieure a été établie, en ce qu'ils sont susceptibles de contenir et/ou d'être connectés à des dispositifs technologiques. Enfin, les produits contestés de la classe 14 sont dissemblables des produits et services pour lesquels la renommée de la marque antérieure a été établie. En revanche, compte tenu de l'exceptionnelle renommée de la marque antérieure, du caractère distinctif de la marque et de sa reprise à l'identique dans le signe contesté, il ne peut être exclu que le consommateur concerné par ces produits songe à la marque de renommée GOOGLE en prenant connaissance du signe contesté GC GOOGLE CAR.
Il est ainsi probable que du fait de l’association mentale entre le signe contesté et la marque antérieure, l’image positive et les caractéristiques projetées par cette dernière soient transférées, dans l’esprit du consommateur, aux produits de la marque contestée, de sorte que ceux-ci peuvent s’en trouver valorisés et leur commercialisation facilitée, bénéficiant indirectement du pouvoir d’attraction de la marque invoquée. Il apparait donc que la marque contestée est susceptible de tirer indument profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure au regard de l’intégralité des produits en cause.
La marque semi-figurative GC GOOGLE CAR, pour l’ensemble de ces fondements, est déclarée nulle pour tous les produits désignés dans son enregistrement.
Décisions INPI, 10 août 2021, NL 21-0057 (NL20210057)[3]
Google LLC c. M. Z. H.
[1] Conformément à l’adage « fraus omnia corrumpit » ainsi qu’à la jurisprudence, peut être déclaré nul l’enregistrement d’une marque déposée de mauvaise foi. À cet égard, la Cour de cassation, a pu préciser que, toute marque déposée en fraude des droits d'autrui étant nécessairement déposée de mauvaise foi, la jurisprudence française selon laquelle l'annulation d'une marque déposée en fraude des droits d'autrui peut être demandée, sur le fondement du principe « fraus omnia corrumpit » combiné avec l'article L. 712-6 du CPI, satisfait aux exigences qui découlent de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en matière de transposition des directives sur ce motif d’annulation (Cass.com., 17 mars 2021, Technopharma Ltd c. Unilever NV et Unilever PLC, 18-19.774 ; M20210077 ; PIBD 2021, 1167-III-3 ; Légipresse, 394, juill.-août 2021, pp. 327 et 339, C. Piedoie ; RTDCom., 2, avril-juin 2021, p. 341, J. Passa). Sur la question plus large de la fraude et de la mauvaise foi, voir également l’étude de Cécile Martin : « De la fraude à la mauvaise foi : un passage de relais ou une continuité en matière de nullité du dépôt d’une marque française ? » PIBD 2022, 1175, II-1.
[2] Il est en particulier admis par la jurisprudence que peut être qualifié de mauvaise foi le dépôt d’une marque effectué en connaissance de l’usage d’un signe identique antérieur bénéficiant d’une renommée et motivé par l’intention de profiter de sa renommée (même résiduelle) ou de sa force d’attraction (TUE, 8 mai 2014, SIMCA, T-327/12 ; TUE, 14 mai 2019, Neymar, T-895/17 ; M20190136 ; PIBD 2019, 1118-III-285), ou encore de monnayer la marque déposée (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 10 janv. 2012, 11/05257 ; M20120142 ; TGI Paris, 3e ch., 4e sect , 26 mai 2016, 15/03075 ; M20160381).
[3] Dans deux décisions rendues le même jour (NL20210055 et NL20210056), le directeur général de l’INPI a annulé, pour les mêmes motifs, deux autres marques déposées par M. Z. H. (GOOGLE et GOOGLE CAR).