Validité de la marque française (non) - Annulation partielle - Droits antérieurs - 1°) Marque internationale désignant l'UE - Portée de la renommée - Produits concernés - Lien entre les signes - Signes identiques - Produits ou services différents - Profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée - Investissements réalisés - Mauvaise foi - 2°) Marque internationale désignant l'UE - Risque de confusion - Appréciation globale - Similarité des produits ou services - Complémentarité - Signes identiques - Public pertinent - Grand public - Professionnels - Caractère distinctif de la marque antérieure
La marque contestée RICHARD MILLE, déposée pour désigner de nombreux produits et services en classes 7, 12, 38 et 42, porte atteinte aux droits antérieurs sur la marque internationale désignant l’Union européenne éponyme. Celle-ci jouit d’une renommée sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne, et notamment en France, pour une partie des produits invoqués, à savoir les produits d’« horlogerie et instruments chronométriques », comme en témoignent, selon la presse, le succès indéniable de la marque pour des montres, malgré son positionnement dans le secteur du grand luxe, ainsi que son degré élevé de connaissance sur le marché pertinent du fait des nombreux investissements promotionnels (collaboration, partenariat ou parrainage) réalisés dans le domaine sportif, notamment automobile, et auprès de personnalités mondialement connues.
Les consommateurs seront vraisemblablement incités à établir un lien entre les deux signes du fait de la reprise à l’identique de la marque antérieure en relation avec certains des produits et services visés par la marque contestée, notamment les produits de la classe 12 (véhicules, appareils de locomotion aériens ou maritimes, cycles...). Le demandeur démontre, en effet, investir promotionnellement autour du secteur automobile, cycliste, aéronautique et nautique, et développe notamment des montres en commun avec une équipe de Formule 1 ou destinées à la navigation aérienne. Si ces produits sont différents, tous les véhicules et leurs parties constitutives couverts par le libellé de la marque contestée sont, comme les produits et instruments chronométriques de la marque antérieure, des produits de mécanique complexes et de précision, mis au point aux termes de recherches fines et souvent longues, dans lesquels les propriétés des matériaux ou leur poids ont autant d’importance que l’esthétique. Il en est de même pour les services de la classe 42 (évaluations techniques concernant la conception (travaux d'ingénieurs), recherches scientifiques et techniques, conception d'art graphique, stylisme (esthétique industrielle)…) - vu le degré d’inventivité et de technicité du secteur des montres, qui est par ailleurs fortement relié au secteur de la mode et du design - ou bien pour les outils et appareillages visés en classe 7 qui sont susceptibles d’être utilisés dans le domaine de l’horlogerie.
En revanche, d’autres produits et services visés par la marque seconde (machines agricoles, machines à coudre, couteaux électriques, services de télécommunication, conception de logiciels, architecture, décoration intérieure…) n’ont aucun rapport ou ont un lien extrêmement général et abstrait avec les produits pour lesquels la marque antérieure est renommée. Ils appartiennent à des secteurs économiques différents et ciblent des consommateurs spécifiques aux besoins différents. En ce qui concerne en particulier les prestations de communication à distance fournies par des opérateurs de télécommunication ou des fournisseurs d’accès à Internet, si des marques horlogères concurrentes se diversifient et commercialisent des montres connectées, il n’est pas démontré qu’il soit habituel que le secteur de l’horlogerie étende ses activités à la fourniture de telles prestations techniques. Il en est de même s’agissant des services relatifs à la conception de logiciel ou d’ordinateur et au conseil informatique. Pour ces produits et services, l’intensité de la renommée de la marque antérieure n’apparaît pas telle que la marque contestée puisse l’évoquer dans l’esprit du consommateur concerné.
La marque contestée est susceptible de tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure. En effet, les signes sont identiques et le demandeur a démontré effectuer d’importants investissements dans la promotion et la publicité aux fins de créer au fil des années une image de marque d’excellence, d’innovation et de grande technicité. Le lien établi entre les signes, compte tenu également des relations entre les produits pour lesquels la marque antérieure est renommée et certains produits et services de la marque contestée, pourrait faciliter la mise sur le marché de ces derniers, réduisant la nécessité d'investir dans la publicité et permettrait au titulaire de la marque contestée de bénéficier des efforts commerciaux déployés par le demandeur pour créer et entretenir l’image de la marque antérieure. De plus, le titulaire de la marque contestée semble s’être placé délibérément dans le sillage du pouvoir d’attraction de la marque antérieure. La marque contestée est donc partiellement annulée.
Décision INPI, 22 décembre 2020 (NL 20-0009)1
Turlen Holding SA c. X
1Depuis la mise en place, le 1er avril 2020, de la procédure administrative en nullité de marque devant l’INPI, suite à l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 transposant la directive (UE) n° 2015/2436 du 16 décembre 2015, plusieurs décisions ont été rendues dans ce cadre, dont deux ont fait l’objet d’une publication dans PIBD. La marque GANG BANG A PARIS a ainsi été annulée pour contrariété à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, notamment en ce qu’elle est composée pour partie d’un signe dont l’utilisation est légalement interdite (décision INPI, 10 nov. 2020, NL 20-0024, PIBD 2020, 1150, III-6). Il s’agit de la première décision statuant sur une demande fondée sur un motif absolu de nullité. Dans une autre affaire concernant une demande fondée sur un motif relatif de nullité, la marque chicobello a été partiellement annulée en raison du risque de confusion avec la marque de l’UE antérieure CICCIOBELLO (décision INPI, 17 nov. 2020, Giochi Preziosi SpA c. X, NL 20-0016, PIBD 2020, 1150, III-5). La décision publiée ci-dessus est la première statuant sur une demande fondée sur un motif relatif de nullité portant sur l’atteinte à la renommée d’une marque antérieure. Elle n’a pas encore fait l’objet d’un recours, lequel est susceptible d’être porté ultérieurement à notre connaissance.