Jurisprudence
Marques

Nullité pour dépôt de mauvaise foi de la marque VITE MA DOSE - Absence d’atteinte à l’ordre public

PIBD 1196-III-7
Décision INPI, 8 décembre 2022

Validité de la marque (non) - 1°) Atteinte à l'ordre public (non) - Site internet - Nom de domaine - Préservation des institutions étatiques - 2°) Dépôt de mauvaise foi (oui) - Droit de l'UE - Connaissance d’un usage antérieur - Intention du titulaire de la marque - Entrave à l'exploitation du signe d'autrui - Intention de nuire - Usage de la marque

Texte
Marque n° 4 752 691 de Monsieur A
Texte

La marque Vite Ma Dose, désignant notamment la publicité en ligne sur un réseau informatique et la publication de textes publicitaires, n’est pas contraire à l’ordre public[1]. L’outil intitulé « Vite Ma Dose » proposé par les demandeurs à la nullité de cette marque, qui permet de trouver un rendez-vous pour la vaccination contre la Covid-19, n’est pas un outil officiel du Gouvernement. Ainsi, le fait qu’un opérateur économique ait déposé une marque reprenant cette dénomination ne saurait être qualifié d’atteinte à l’ordre public dans la mesure où il n’est pas démontré qu’un tel dépôt serait contraire à la législation ou aux règles morales sociales garantissant les principes essentiels au bon fonctionnement de la société, notamment la préservation de l’État et de ses institutions. Par ailleurs, l’atteinte à l’ordre public n’a pas été démontrée au jour du dépôt de la marque contestée, l’ensemble des pièces fournies étant postérieures à celui-ci ou dépourvues de date, telle la pièce relative à la publication d’une vidéo qui relaierait des propos anti-vaccins sur le site vitemadose.fr du titulaire de la marque.

La marque Vite Ma Dose est annulée pour dépôt de mauvaise foi[2], au vu des facteurs pertinents qui ont été dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne[3]. En effet, l’outil « Vite Ma Dose » des demandeurs a bénéficié, dès le lendemain de son annonce sur Twitter et jusqu’au dépôt de la marque contestée, d’une couverture médiatique importante dans des publications et des médias à portée nationale, dans une période où la vaccination était l’une des préoccupations majeures pour un grand nombre de Français, et en pleine campagne nationale incitant à la vaccination. En outre, le titulaire de la marque ne saurait soutenir n’avoir pas eu connaissance de l’existence de cet outil, au jour du dépôt de sa marque, dans la mesure où, d’une part, son propre site vitemadose.fr reproduisait la page web « Vite Ma Dose » développée par l’un des demandeurs et que, d’autre part, il a entretenu une conversation sur Twitter avec l’un des demandeurs au sujet de l’outil, et ce même si les demandeurs n’avaient, à cette date, déposé aucune marque ou nom de domaine associé à ce signe.

Ainsi, en déposant une marque éponyme en pleine campagne de vaccination contre la Covid-19, le titulaire de la marque contestée a agi sciemment au mépris des intérêts des demandeurs dans le but de créer une confusion avec leur outil dans l’esprit du public. Il a profité de la notoriété naissante de cet outil et les a privés, par anticipation, du signe qu’ils utilisaient déjà dans le cadre de leur activitéLe dépôt de marque n’a donc pas été effectué dans l’intention de protéger un signe accrocheur et de l’exploiter pour des services de fourniture de contenu audiovisuel divertissant. Enfin, le fait que le titulaire de la marque ait réservé le nom de domaine vitemadose.fr quelques jours seulement après la présentation de l’outil des demandeurs, et qu’il l’ait mis en vente seulement dix jours plus tard, montre qu’il a réservé ce nom de domaine et déposé la marque Vite Ma Dose cinq jours après, sans réelle intention de les exploiter.

Décision INPI, 8 décembre 2022, NL 21-0266 (NL20210266)
Association Covidtracker et M. R c. M. A

 

[1] Sur la question de la nullité d’une marque pour contrariété à l’ordre public, voir également : Décision INPI, 10 nov. 2020, Y c. X, NL20-0024 (NL20200024 ; PIBD 2020, 1150-III-6).

[2] Sur le dépôt de mauvaise foi, voir l’étude intitulée « De la fraude à la mauvaise foi : un passage de relais ou une continuité en matière de nullité du dépôt d'une marque française ? » de C. Martin (PIBD 2022, 1175-II-1) et la chronique intitulée « Marque déposée de mauvaise foi : quelles nouveautés depuis la réforme du droit des marques ? » de M. Junagage (RJDA, déc. 2022, Doctrine, p. 7).

[3] CJUE, 4e ch., 29 janv. 2020, Sky PLC, C-371/18 (M20200025 ; PIBD 2020, 1139-III-3 avec une note de C. Martin ; Propr. industr., avr. 2020, chron. 3, J. Canlorbe ; Propr. industr., mai 2020, étude 12, V. Ruzek et A. Folliard-Monguiral ; RTDCom., 2, avr-juin 2020, p. 332, J. Passa ; Propr. industr., 11, nov. 2020, chron. 10, C. Le Goffic) ; CJUE, 5e ch., 27 juin 2013, Malaysia Dairy Industries Pte, C-320/12 (M20130340 ; PIBD 2013, 990, III-1393 ; Europe, août-sept. 2013, p. 51, L. Idot ; Légipresse, 310, 2013, p. 637, Y. Basire ; Comm. com. électr., 10, oct. 2013, p. 27, C. Caron ; Propr. industr., nov. 2020, chron. 10, Y. Basire).